Nanna Aichoucha est une des soeur de mon père. Une femme douce et patiente qui a vécu une vie très dure sans jamais se plaindre.

Au début des année 50, son histoire privée, déjà si dure, comme celle de tous les Algériens de sa génération, est percutée frontalement par le train de l’Histoire de notre pays. La guerre de libération entre dans tous les foyers.

Sa famille est particulièrement ciblée par la soldatesque française et est obligée de fuir à Alger pour tenter de se faire oublier dans la grande ville.

Mais même à Alger, les choses ne sont pas faciles. Ils s’entassent dans les appartements-clapiers construits en urgence pour loger les nombreux “indigènes” arrivés en ville pour fuir la faim et la guerre qui faisait rage dans les campagnes.

Les soldats, la police coloniale et l’organisation terroriste de l’OAS font régner la terreur dans les rues et dans les maisons. Peur et angoisse sont le lot de tous les jours. Ceux qui sortaient le matin pour aller travailler ou étudier n’étaient pas très sûrs de rentrer le soir. 

Vous pouvez imaginer la joie de Na Aichoucha et de tout le peuple, après la proclamation de l’indépendance et donc de la fin de la guerre en 1962…

Les nouvelles autorités du pays ont appelé à célébrer tous ensemble le 5 juillet. Une date symbole. Na Aichoucha a probablement passé, comme beaucoup de ses voisines, la nuit du 4 au 5 à coudre ce drapeau.

Il n’est pas très beau à voir le drapeau de Na Aichoucha. Mal dessiné, mal coupé et cousu à la “va-vite”. Mais ce n’est pas grave. Le drapeau au fond c’est juste un bout de tissu. Ce qui compte, c’est ce qui ne se voit pas. Ce qui compte, c’est ce qui était renfermé dans ces trois couleurs et dans cette étoile un peu drôle et ce croissant un peu tordu.

Le drapeau de Na Aichoucha fut créé pour célébrer la fin de la guerre et l’indépendance du pays. Mais cette indépendance fut bientôt confisquée. Les espoirs se sont vite transformés en désillusions

Ma tante plia soigneusement son drapeau et l’enferma dans un tiroir, parmi ses quelques objets de valeurs. Ce n’était qu’un bout de tissu, mal dessiné, mal coupé et cousu à la “va-vite”. Mais sa valeur était dans l’espoir qu’il avait représenté pour un jour… Un si grand espoir.

Il y a quelques années, la douce tante Aichoucha est morte. Elle s’en est allée, sans jamais avoir eu la chance de revenir fêter quoi que ce soit sur la place publique avec ou sans son drapeau.

Hier, ma cousine, la plus jeune de ses fille, a sorti le drapeau qui était resté là dans son tiroir depuis 57 ans. Elle l’a montré à son frère ainé, venu de France pour partager ces moments historiques avec notre peuple. Ensemble, ils l’ont emmené sur la place et l’ont agité de nouveau, sous le soleil lumineux d’un Alger qui a finalement décidé de se remettre à espérer.

Il l’ont porté là, à la mémoire de leur mère, ma tante Aichoucha. En souvenir de ses espoirs et de ses déceptions. En souvenir des espoirs et des déceptions de toutes nos mères. De toutes les femmes d’Algérie

Ils l’ont porté et agité, en espérant de ne plus jamais le garder enfermé dans le triste tiroir des espoirs trahis. Les espoirs de Nanna Aichoucha. Les espoirs de l’Algérie.